Hourra! Cent ans de victoire!

Margaret Gillett

Il y a cent de cela, un petit groupe de jeunes filles venait de passer brillamment les examens provinciaux qui allaient ouvrir, à tous les garçons qui les avaient réussis, les portes de McGill ou de Bishop, collèges de langue anglaise du Québec. Deux d'entre elles, Rosalie McLea et Octavia Grace Ritchie avaient obtenu les meilleures notes jamais enregistrées, se classant respectivement première et seconde. Mais pour elles, la possibilité d'entrer à McGill était mince (c'est le moins qu'on puisse dire). Pourtant, elles voulaient poursuivre leurs études et avaient l'accord de leurs parents. Une femme bien avisée de Montréal (la mère d'Helen Reid) les réunit en conseil de guerre et leur conseilla de s'adresser directement au principal de McGill. Bien sûr, le problème de Rosalie et d'Octavia était qu'elles étaient des femmes. Leurs capacités intellectuelles, leur intérêt, leur enthousiasme, leurs aspirations - tout cela ne comptait nullement. Le principal, J. William Dawson, avait dit être impressionné par leurs résultats scolaires.

Mais il ne pouvait pas les admettre à McGill, avait-il expliqué, car l'université etait un domaine réservé aux hommes, où les femmes auraient tort de vouloir s'aventurer. Pourtant, les femmes étaient déjà admises à suivre des cours universitaires àOxford, à Cambridge et dans plusieurs universités américaines.

Mais l'argent fait merveille, et incite parfois très vite à revenir sur une décision. A la fin de l'été 1884, un bienfaiteur inattendu se présent a a McGill: Donald A. Smith (qui allait devenir Lord Strathcona). Personne ne sait qui ou quoi le poussa à offrir la somme de 50 000 $ à William Dawson pour un programme d'études supérieures pour les femmes. En l'espace d'un mois, plus de vingt femmes s'inscrirent dans un département spécial de la faculté de lettres et les professeurs de McGill accepterènt de leur donner des cours. Les portes de l'université étaient ouvertes!

Bien sûr, de nombreux problèmes subsistaient: celui de l'éducation mixte, celui de l'entrée à l'école de médecine et dans les facultés professionnelles, celui de la promotion de la femme dans les carrières académiques - mais le pas le plus crucial était fait. Hourra!

Cinq grands facteurs semblent avoir joué un rôle déterminant dans cette réussite. Premièrement, le temps était venu: dans la plupart des pays occidentaux, on était prêt à faire place aux femmes. Deuxièmement, un groupe de femmes compétentes et dévouées étaient déterminées à lutter, à rompre avec la vieille tradition voulant que la place d'une jeune fille convenable soit au foyer, prenant soin de son mari. Troisièmement, ces pionnières audacieuses avaient l'appui d'autres femmes, dont leur mère et leurs amies. Quatrièmement, des hommes occupant des postes de responsabilité importants soutenaient leur lutte. Cinquièmement,il existait des fonds pour promouvoir leur cause. Ensemble, ces cinq facteurs ont triomphé à l'automne 1884.

Le Canada vient de nommer une femme au poste de gouverneur général. Par tradition et conformément à notre charte, le gouverneur général, est également Visiteur de McGill. À l'automne 1984, l'honorable Jeanne Sauvé devriendra donc la première femme à occuper ce poste dans l'histoire de McGill. Autres faits: environ 50% de tous les étudiants de McGill sont des femmes; une femme a occupé les fonctions de Chef des bibliothèques universitaires de McGill (rang équivalant à celui de doyen); 18% du personnel enseignant de McGill sont des femmes; les femmes occupent des postes à tous les niveaux de celui de professeur titulaire d'une chaire jusqu'a celui d'assistant... Mais certains problèmes subsistent.

Cent ans après cet événement historique, pouvons-nous espérer que les cinq grands facteurs dont nous avons parlé mèneront à une réussite similaire? Qu'une femme sera nommé un jour au poste de chancelier? De principal? De vice-principal? De doyen? Que les femmes constitueront 50% du personnel enseignant; qu'elles seront réparties également dans toutes les facultés et tous les domaines de spécialisation; qu'elles auront les mêmes salaires, avantages sociaux et promotions que les hommes?

Certains diront que les objectifs à atteindre au cours des cent prochaines années ne sont peut-être pas ceux-là. Toutefois, je suis convaincue que nous devons continuer de lutter. Ne nous contentons pas de la réussite passée, aussi importante qu'elle soit. L'un des plus grands dangers actuels serait réconfortant que "nous y sommes arrivées", que la lutte est terminée. L'une des plus grandes menaces serait de tomber dans la complaisance - car si nous ne luttons pas activement pour consolider les gains passés, nous régresserons inévitablement vers le vieux statu quo.

Gardons présent à l'esprit cet avertissement, et célébrons le centenaire d'un événement historique: l'admission des femmes à McGill; célébrons les premières cent années de réussites académiques pour les femmes. Et préparons-nous à agir avec force durant les cent prochaines années dans le domaine de l'enseignement supérieur.

Margaret Gillet est professeur d'éducation, chaire Macdonald, à McGill. Elle est l' auteur de We Walked Very: A History of Women at McGill (1981) et co-rédactrice de A Fair Shake: Autobiographical Essays by Some Women of McGill (1984).



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