ÉDITORIAL

À bas la charité, vivent les investissements


par Pat Webb

Alors que les effets du budget fédéral commencent à se faire profondément sentir dans tout le pays, nous réagissons comme d'habitude aux changements qui nous sont imposés. Après avoir nié, nous sommes en colère (comment osent-ils!), nous sombrons dans la dépression (c'est sans espoir...), et enfin nous acceptons (d'accord, c'est une affaire réglée) en regardant vers l'avenir (vers où se diriger maintenant?)

Comment osent-ils!
Plus de cent millions de dollars ont été promis aux garderies lorsque la croissance économique du Canada dépasserait 3 % en un an. L'année dernière, elle l'a dépassé, sans qu'un programme de garderie soit même mentionné.

La mort du Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme a permis d' "économiser" plusieurs millions de dollars. En revanche, il n'y aura plus de recherches à l'avenir sur les conséquences des coupures budgétaires sur la vie des femmes.

C'est sans espoir
Les fonds transférés aux provinces pour l'enseignement postsecondaire et les soins de santé seront réduits de 2,5 millions de dollars l'an prochain et de plus de la moitié de cette somme l'année suivante. Les politiques connexes à ces subventions, qui visaient à aligner les provinces aux objectifs généraux du Canada, dont l'équité des sexes en matière d'éducation, ont été affaiblies, voire complètement abandonnées.

D'accord, c'est une affaire réglée
Il est évident que Paul Martin et les gens qu'il écoute croient qu'ils agissent dans l'intérêt du pays. Il n'est pas difficile de comprendre cette priorité soudaine accordée à la réduction du déficit, bien que transférer des dollars de programmes internes tout à fait visibles pour payer des intérêts sur des sommes dépensées depuis longtemps ne soit vraiment pas un stratagème qui glane des voix aux urnes. Ceux et celles qui parmi nous ont succombé à l'attrait des cartes de crédit comprendront peut-être l'horreur grandissante que l'on ressent face à l'impossibilité de payer le solde mensuel (le déficit) alors que le total cumulatif (la dette) augmente à vue d'oeil, aider en cela par des intérêts croissants.

Vers où se diriger maintenant?
L'une des grandes questions que se posent celles qui parmi nous s'efforcent de promouvoir des changements sociaux est la suivante: "Comment pouvons-nous convaincre nos représentants élus de ne plus puiser de fonds dans le système de sécurité sociale du Canada?" Je commence à me demander si l'une des grandes différences entre "eux" et "nous" n'est pas une différence d'optique. Il se peut que nous ayons à déployer quelques efforts pour changer leur façon de voir la réalité. Est-ce que les subventions octroyées aux programmes destinés aux femmes se classent parmi les programmes d'aide de bienfaisance aux victimes ou s'agit-il de mesures visant le développement économique?

Les femmes, qui forment la majorité des Canadiens économiquement défavorisés, sont souvent représentées - même par nous - comme des victimes impuissantes, faisant face à des forces sur lesquelles elles n'exercent aucun contrôle. N'est-il pas fondamentalement vrai que lorsque nous faisons un don pour aider des victimes, nous pensons commettre un acte de charité? N'avons-nous pas non plus un bloc mental quant aux dons de bienfaisance maximum que nous pouvons faire?

Des idées semblables exercent probablement une influence sur les responsables des budgets gouvernementaux. Ils considèrent que les subventions octroyées à des groupes de femmes constituent une aide de bienfaisance à des victimes. Si nous parvenons à leur faire comprendre que les femmes forment une catégorie de citoyens à part entière, digne d'obtenir des fonds d'investissement convenables, il se pourrait que les sommes allouées augmentent.

Il faut du temps pour changer les attitudes. Nous devons de notre côté faire attention de ne pas nous appuyer sur l'image de la victime lorsque nous sollicitons des fonds pour nos projets. Mais nous changerons les choses si nous affirmons constamment que le financement de programmes de développement se fondant sur la vie réelle des gens est tout à fait différent de l'appui au revenu. Des subventions de ce genre ne devraient pas être puisées dans les allocations de bienfaisance du gouvernement, celles-ci étant destinées aux personnes dans l'incapacité de survivre par elles-mêmes. À long terme, les subventions de développement appartiennent à la catégorie des investissements.

Pat Webb est la directrice de l'Ontario du CCPEF.



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