LES SAGES-FEMMES AU CANADA

Sophie Arthaud

Lors de leur congrès national qui s'est déroulé à Toronto du 31 octobre au 4 novembre, les sages-femmes du Canada ont réaffirmé la nécessité de lutter toutes ensemble pour obtenir la légalisation de leur profession. Aussi déterminées qu'elles soient, la route sera dure. Alors même qu'elles se réunissaient à Toronto, le gouvernement ontarien rejetait un projet de loi privée qui aurait légalement défini des critères de formation pour la profession et qui aurait autorisé les sages-femmes à exercer légalement. Si ce projet de loi avait été accepté, l'Ontario serait devenue la première province à reconnaître officiellement le métier de sage-femme, au Canada.

Bien que la profession de sage-femme ne soit pas légalement reconnue, plusieurs centaines de femmes exercent ce métier. Il y a des sages-femmes diplômées qui ont fait leurs études dans d'autres pays et des sages-femmes qui ont obtenu un diplôme dans le cadre d'un ancien programme canadien de formation pour les missions dans le Tiers monde. Il y a aussi toute une jeune génération, qui a appris le métier d'une manière tout à fait unique: en travaillant en équipe avec des sages femmes qui avaient de l'expérience ou même en travaillant avec un médecin, puis en continuant de s'entraider en petits groupes pendant les premières années de métier.

Aussi positive qu'elle puisse paraître sous certains aspects, cette méthode de formation non institutionnelle n'a pas été une question de choix mais d'obligation. Comme la profession n'est pas légalement reconnue, il n'y a pas d'écoles pour l'apprendre. Les choses ne sont donc pas toujours faciles pour quelqu'un qui choisit ce métier. Un jeune sage-femme qui pratique depuis trois ans au Québec, après une formation de deux ans en équipe, m'a dit: "C'est un métier passionnant. Parce qu'il y a une énergie qui se passe quand la femme accouche, quand on travaille avec elle en prénatal, ou après quand toute la famille est là, qui est vraiment... éblouissante. Par contre, c'est un métier très exigeant. Entre autres parce que la situation légale fait qu'il faut trouver soi-même sa formation. J'ai été assez chanceuse au début de travailler en équipe de quatre femmes, où on se donnaît beaucoup de support pour apprendre. Par contre, quand j'ai commencé à travailler toute seule, j'ai trouvé ça très difficile. Parce que l'isolement est grand: tous les moments d'intensité, je dirais que ce soit d'intensité positive ou négative, nous bouleversent beaucoup, nous réjouissent beaucoup. Et il est très difficile de les vivre toute seule."

Si les choses sont aussi difficiles, disent certaines, c'est que la sage-femme est une rivale du médecin. Mais faisons un pas en arrière dans l'histoire. Les rôles n'ont-ils pas été renversés? N'est-ce pas le médecin qui a usurpé le rôle de la sage-femme?

Jusqu'au milieu du 20e siècle, les sages-femmes ont gardé une place importante dans la société canadienne. En 1940 encore, le Collège des médecins leur décernait des diplômes officiels. Il y a plus de deux cents ans, chaque village avait sa propre sage-femme. La profession se transmettait de mère en fille ou s'apprenait avec la sage-femme locale. Mais à partir des années 1950, il y a eu ce qu'on appelle une "médicalisation" de la naissance. L'événement, qui faisait depuis toujours partie du cycle familier et naturel de la vie, est devenu progressivement étranger et dangereux. Un événement pour lequel il faut aller à l'hôpital.

Actuellement, au Canada, très peu de femmes accouchent à domicile. Il est quasi-impossible d'avoir des chiffres sur le nombre des enfants nés à la maison, avec l'aide d'une sage-femme, par opposition à celui des enfants nés en milieu hospitalier car Statistique Canada ne tient qu'un relevé global du nombre des naissances. Mais les sages-femmes canadiennes estiment que seulement 1% à 2% des nouveaux-nés naissent à la maison, en famille. Ce pourcentage paraît infime puisque dans le monde entier, selon l'Organisation mondiale de la santé, environ 75% des naissances se font avec l'aide d'une sage-femme, à la maison.

Mais depuis cinq à six années, un curieux phénomène se produit. Un phénomène inverse à la médicalisation: de plus en plus de futures mères choisissent d'accoucher à domicile.



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