Corriger cette abominable situation


Par Louise Dulude

Récemment, une amie m'a dit qu'elle se souvient exactement du jour et de l'heure où elle est devenue féministe. Moi pas. Dans mon cas, ça s'est fait graduellement, à mesure que je comprenais mieux ce qui se passait autour de moi.

J'avais trente ans quand j'ai dit "je suis féministe" pour la première fois, mais il y avait déjà longtemps que je me posais des questions. Par exemple, à quatorze ans, je me demandais pourquoi il fallait que j'attende qu'un garçon m'appelle pour me demander de sortir avec lui. À dix-huit ans, j'ai trouvé étrange que mes parents s'inquiètent tellement des études universitaires de mon frère alors qu'ils pensaient qu'un poste de secrétaire était assez bon pour moi.

J'ai appris longtemps plus tard que plusieurs filles de mon âge s'étaient posé les mêmes questions et n'avaient rien dit non plus. Pourquoi se plaindre puisque le fait d'être fille voulait dire qu'on n'avait pas à travailler aussi fort ou à risquer des refus humiliants en appelant des garçons qui ne voulaient rien savoir de nous? D'ailleurs, nous étions toutes entièrement absorbées par l'obsession numéro un des adolescentes: la chasse à l'homme.

En rétrospective, je m'aperçois que les années qui ont suivi sont celles où j'ai eu le moins de contacts féminins de ma vie. Mes amies et moi nous rencontrions seulement de temps à autre, quand par malheur nous n'avions pas d'autres rendez-vous. Puis elles se sont presque toutes mariées et ont déménagé dans d'autres quartiers. Mes nouvelles compagnes de bureau étaient aussi très occupées par leurs sorties, leur mari, leurs jeunes enfants. Ma vie s'est de plus en plus centrée sur mes cours du soir et mes amours. Quand le livre La femme mystifiée de Betty Friedan a fait scandale dans les années soixante en exposant les misères des femmes mariées, j'ai pensé que c'était peut-être moi qui avais la meilleure part après tout.

Pendant ce temps là, les crédits de cours que je prenais à Sir George Williams (maintenant Concordia) et ensuite à l'Université de Montréal s'accumulaient toujours de sorte que je me suis retrouvée après un agréable interlude de travail en Europe avec un diplôme de droit et un poste de directrice de la première clinique juridique du quartier Centre-Sud de Montréal - connu par certains sous le nom de "faubourg à m'lasse". C'est là que j'ai appris que les coquerelles et les appartements sans eau chaude sont encore courants dans notre pays riche, et que la plupart des gens qui sont obligés de les subir sont des femmes.

Non seulement c'étaient presque toujours des femmes, mais encore des femmes ni folles, ni paresseuses, que le hasard de la naissance, d'un mauvais mariage ou du veuvage avait réduites à la misère et à la pire pauvreté. Après un an de travail épuisant à négocier avec leurs multiples créanciers, à plaider leurs causes devant les tribunaux et à donner des cours de droit le soir aux gens du quartier, je me suis retrouvée brûlée, radicalisée et convaincue que les lois et les systèmes actuels ne pouvaient pas faire grand-chose pour guérir les horreurs que j'avais découvertes là.

C'est ainsi que je me suis retrouvée au Programme de promotion de la femme du Secrétariat d'Etat, à Ottawa, juste à temps pour participer aux célébrations de l'Année Internationale de la femme en 1975. Un an plus tard, la chance m'a de nouveau souri lorsqu'on m'a offert un poste de recherchiste au Conseil consultatif canadien de la situation de la femme (CCCSF) , aussi à Ottawa. Les travaux que j'y ai effectués - sur la fiscalité, les conditions de travail des femmes, les régimes matrimoniaux et la vie des femmes âgées - ont renforcé ma conviction que seuls des changements juridiques et sociaux de grande envergure pourraient rendre les Canadiennes des citoyennes à part entière.

En voyant de près la façon dont le gouvernement réagit aux revendications des groupes féminins, j'ai pu constater l'importance cruciale de leurs pressions. En travaillant de concert avec leurs dirigeantes sur plusieurs dossiers, par exemple avec Azilda Marchand de l'AFEAS sur le statut des femmes collaboratrices de leur mari dans des entreprises familiales, j'ai appris à les respecter et à admirer leur intelligence et leur générosité, et j'ai compris pour la première fois l'énorme satisfaction que beaucoup. de femmes retirent de leurs activités bénévoles au service des autres.



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