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Nous retrouvons un exemple de cette vision asexuée (donc masculine) de l'action communautaire dans la notion même de communauté. Les définitions, quoique très variées, associent sans exception la communauté à la sphère publique; c'est le domaine du "local politics" (les institutions et leurs représentants locaux, les groupes constitués oeuvrant dans le quartier, les problèmes relevant du domaine public). Tout ce qui serait associé à la sphère privée (et par le fait même à une aire d'activité et de responsabilité féminine) est éliminé: rapports de voisinage, rapports de parenté, rapports communautaires informels ou non formalisés. Il s'agit pourtant d'un domaine et de rapports essentiels à la survie de toute communauté (privée et publique), essentiels pour les femmes en particulier, qui sont en général responsables du privé. Les rapports communauté famille et le travail pourtant nécessaire de production- reproduction d'une communauté sont rendus invisibles.

Qui se charge du travail de mise en place et de régénérescence des réseaux, des associations, tant au sein de la famille que de la parenté, du quartier, de lieu de travail? Ne s'agit-il pas là d'un travail communautaire, qui nécessite un investissement d'énergies, et dont l'importance (et non la reconnaissance sociale) équivaut largement à celle des autres activités ou transaction formelles qu'il rend possibles? Les femmes font fonctionner des réseaux informels au travers desquels s'effectue un partage des ressources (soin des enfants, survie d'une famille, organisation d'une communauté pour faire face à une pénurie, etc). Ces processus constituent une activité de travail, de gestion, de mise en place, de changement d'une communauté, et constituent à œ titre une action communautaire.

Les réflexions qui précèdent soulèvent certaines questions. Peut-on supposer que les femmes qui assument ce travail communautaire considèrent cette activité comme un travail? Comment inclure dans l'analyse ces activités, que la division privé public a rendues invisibles, sans tomber dans le piège de la quantification?

Il s'avère nécessaire de changer nos termes de référence et de baser les nouveaux termes choisis sur l'expérience collective des femmes. Je suggérerais à ce titre l'utilisation de la notion de travail maternel. Par travail maternel, j'entends l'ensemble des travaux d'entretien matériel, psychique et affectif, des interventions éducatives, des considérations organisationnelles et économiques qu'une mère effectue régulièrement pour les enfants dont elle a la charge et par extension, pour sa famille et son entourage (8).

Ne s'agit-il pas là justement de ce que font, bénévolement, des milliers de femmes, au sein de groupes constitués, ou en dehors de ceux-ci? Bien sûr, l'activité maternelle étant dévalorisée dans notre société, son utilisation comme concept peut poser un problème. Elle a le mérite cependant de mettre en lumière un pan de l'activité communautaire des femmes resté dans l'ombre.

Denyse Côté, organisatrice communautaire et participante à diverses activités communautaires, est actuellement professeure en Travail social à l'Université de Québec à Hull. Elle accueillerait avec enthousiasme tout commentaire sur cet article.



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