Mais pourquoi parler spécifiquement des femmes alors qu'il s'agit de groupes mixtes, où hommes et femmes sont présents et actifs? Les hommes et les femmes ne partagent-ils pas la même réalité? Au contraire, nous savons pertinemment que les femmes sont majoritaires dans les groupes communautaires, mais que leur contribution spécifique est difficile à saisir. En dehors des groupes constitués de façon formelle, cette contribution s'évapore.

L'action communautaire mérite qu'on la définisse. Méthodologie et philosophie d'intervention, elle prend appui sur les personnes qui sont l'objet du changement. Elle a été définie comme "a people-based method" (1). C'est le "community organization" américain. Elle s'exerce dans le cadre de groupes mixtes et de groupes de femmes. Les groupes de femmes (2) interviennent sur des problèmes causés directement par des rapports de domination sexuelle; leur analyse et leur action mettent ces rapports en lumière: les hommes comme groupe social et le patriarcat comme système sont vus comme des obstacles pour les femmes. Dans les groupes communautaires mixtes au contraire, une telle optique n'existe pas. L'optique la plus répandue fait ressortir prioritairement la présence de rapports de domination ne tenant pas compte de la variable sexuelle. Les rapports entre les sexes sont ainsi relégués au rang de problème de second ordre. Une vision universelle de l'homme [sic] et des rapports sociaux au sein de l'action communautaire s'en dégage (3), vision qui se conjugue à la restriction des rapports entre les sexes au champ d'intervention occupé par les groupes de femmes. L'invisibilité et la neutralité sexuelles infiltre alors les projets, ceux ayant pour objectif le changement de structures et des rapports de domination, la satisfaction des besoins des plus démunis, de même que les projets orientés vers le mieux-être communautaire.

En 1988, les têtes d'affiche au niveau de l'action communautaire mixte sont encore plus souvent qu'à leur tour des hommes. On reconnaît généralement la présence (majoritaire) des femmes, mais toujours plus facilement comme participantes, consommatrices et dispensatrices de services. Reconnaît-on cependant la place des femmes comme instigatrices, pionnières, premières responsables, militantes, intervenantes dans des projets autres que ceux destinés spécifiquement aux femmes? (4) Reconnaît-on l'apport et les 1problèmes spécifiques des femmes au niveau des thèmes d'action? (5) Reconnaît-on les energies qu'elles y canalisent, la façon dont elles interviennent, la marge de manoeuvre particulière dont elles disposent?

Les femmes ont été assignées à des places et à des fonctions déterminées variant selon les époques et selon les sociétés. Qu'elles se soient ou non conformées à ces rôles et à ces places, qu'elles les aient acceptés ou contestés, le fait demeure qu'elles ont à faire face à des interdits propres à leur sexe et qu'elles ont à agir en prenant ces interdits en ligne de compte. Et si l'on admet facilement que les structures et la dynamique d'une société influencent l'action communautaire, pourquoi alors mettre l'influence des rapports entre les sexes sur celle-ci?

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En d'autres termes, si l'on admet que les femmes, sujettes à une socialisation particulière, situées de façon particulière dans la dynamique sociale et sujettes à des responsabilités et des interdits particuliers, si l'on admet que..

...gender ascriptive relations are clearly the fundamental sites of the subordination of women as gender (6)

Comment présumer alors que les champs d'intérêt, les stratégies, les modes d'insertion communautaires des femmes aient été les mêmes que ceux des hommes? Comment supposer que les valeurs véhiculées par les femmes aient été identiques, explicitement ou implicitement, à celles des hommes, quand on impute par exemple à ces derniers l'agressivité et la prestance, et aux femmes l'abnégation et le service à autrui? (7) Comment supposer que l'action des femmes au niveau communautaire soit identique à celle des hommes?



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