Aussitôt dans les ateliers elles s'empressèrent d'entrer au coeur du sujet, soit les problèmes sérieux auxquels se butaient les femmes anglophones depuis plusieurs années dans leurs communautés rurales et urbaines. C'était impressionnant: on parlait de tout, de la violence conjugale, des maisons d'hébergement, des centres de femmes dans les collèges et universités, de l'éducation non-sexiste, des nouveaux projets de recherche.

Quelques-unes s'exclamaient, surtout les Torontoises: "We need clout, more clout, that's what we need! We must get through to Ottawa!" J'étais en admiration devant ces femmes... jamais je n'avais entendu des femmes parler avec tant conviction et de courage du bien-être des Canadiennes.

"En matière d' éducation, quel est le sort des femmes franco- phones hors du Québec au Canada? "

J'avais tellement hâte d'enregistrer tous ces beaux témoignages, les analyses profondes des problèmes vécus par les femmes au Canada. Une à une, j'ai interviewé ces femmes, certaines venant des régions les plus éloignées de notre pays. Mon but était à mon retour à Ottawa de faire écouter ces entrevues aux féministes de chez-nous.

À ce même congrès, une autre francophone surveillait le déroulement des activités. Hortense Roy du Secrétariat d'État détenait un pouvoir que j'ignorais jusqu'alors. Si moi j'étais enflammée par la liberté et la facilité de parole des anglophones, elle était préoccupée par l'absence des femmes francophones à ce congrès. Hortense me posa une question fort troublante: "En matière d'éducation, quel est le sort des femmes francophones hors du Québec au Canada?" Ce fut la question-clé de ma vie, celle qui allait guider toute mon action en éducation auprès des adultes de l'Ontario francophone.

Je me suis d'abord conscientisée à ma situation personnelle. Issue d'un milieu analphabète et culturellement pauvre dans une petite ville du Moyen Nord de l'Ontario, j'avais "réussi" mes études postsecondaires et supérieures en anglais dans une des deux seules universités "bilingues" de l'Ontario. Pourquoi en anglais? Parce que l'éducation dite "bilingue" en Ontario voulait dire une heure de français par jour, le reste des cours se déroulant en anglais. Bientôt je me suis rendu compte que je n'étais pas la seule à avoir vécu cette injustice. Des milliers d'autres femmes francophones partageaient mon histoire, mais la majorité d'entre elles n'avaient pas terminé leurs études secondaires. Nous étions une très faible minorité à avoir accédé aux études universitaires. Intervenante en éducation de base aux adultes au Collège Algonquin depuis 1974, je me suis finalement décidée à reprendre mes études universitaires en français, à me réapproprier ma langue et à concentrer mon énergie sur l'éducation populaire en milieu francophone au sein de ce collège et dans la communauté. C'était le début d'une longue recherche-participative qui aboutirait en 1985 à la création d'un centre d'alphabétisation dans la basse-ville d'Ottawa, un milieu franco-ontarien historique.

Mais revenons à ce fameux congrès de CCLOW en 1979... Je suis revenue à Ottawa en ayant envie de contacter les femmes francophones, de leur faire entendre les beaux témoignages des anglophones et de les inviter à se joindre en grand nombre à ce magnifique mouvement des femmes en éducation. Mais le terrain était déjà miné... la brèche était béante... le "bilinguisme" avait fait ses ravages et la colère envahissait les féministes ontariennes de l'Est! Suite à mon invitation, quelques-unes m'avaient lancé: "Nous ne voulons pas être le papier carbone des anglaises!" Quelque peu abasourdie, je venais d'entendre le "CLOUT!" des Ontariennes. Remplie d'espoir, parfois de crainte et d'incertitude, je me suis rapprochée d'elles. J'avais soif de vivre ma culture, de m'épanouir dans ma langue maternelle. Cela me semblait de plus en plus difficile.

Nous avons créé des moyens de pression: le rassemblement des Ontariennes sous la bannière SAVOIR C'EST POUVOIR eut lieu au Collège Algonquin. Quatre cents femmes de l'Ontario francophone y participèrent. En 1984, ACTION ÉDUCATION FEMMES, née dans l'Est du pays suite à une autre rencontre du CCLOW à Halifax, organisait sa première conférence nationale à Montréal. Encore une fois plus de quatre cents femmes francophones de tout le Canada y participèrent. Il était clair que les femmes francophones hors du Québec et plusieurs Québécoises avaient envie de se réunir et de faire front commun en matière d'éducation en français au Canada.



Back Contents Next