Lors d'une entrevue subséquente, un candidat pour le même poste a répondu à toutes les questions en citant des paragraphes de documents qu'il sortit lui aussi... de sa serviette. Ayant bien appris ma leçon, j'étais certaine que le candidat s'était «calé» d'autant plus que, dans ce cas, les réponses me paraissaient vides. Quel ne fut pas mon étonnement devant l'unanimité de mes collègues qui voulaient l'engager immédiatement. La "technique de la serviette" ne leur avait pas sauté aux yeux, cette fois-là. Hommes et femmes se sont regardés avec une incompréhension totale. Il a fallu former un autre comité composé moitié-moitié d'hommes et de femmes pour décider.

Il y a des directeurs de department qui jurent toujours qu'ils n'engagment jamais de professeures.

Il est parfois difficile de comprendre que ce qui paraît constituer du sexisme acharné n'est rien de plus qu'une question de perception. Toutefois, dans un contexte où les décideurs et les modèles sont surtout des hommes, il est nécessaire de garantir un traitement équitable en se donnant des règles qui pallient les problèmes liés à la perception; par exemple, les règles d'action positive en vigueur à l'Université du Québec à Montréal. Cela ne mine pas l'excellence; cela garantit simplement qu'elle soit reconnue.

Mais le sexisme n'est pas toujours innocent ni inconscient: il existe aussi à l'état pur, dans les milieux de recherche comme ailleurs. Il y a des directeurs de département qui jurent toujours qu'ils n'engageront jamais de professeurs. Il y a des professeurs qui prennent plaisir à humilier les femmes dans leurs cours, comme ce professeur de l'École polytechnique dont m'a parlé une de mes étudiantes, qui lui a expliqué que les femmes ne peuvent pas faire de design industriel puisqu'elles sont "incapables de voir en trois dimensions". De même, j'ai mis du temps à me remettre d'un congrès où un grand bonze m'avait flattée en m'engageant dans de longues conversations sur la génétique, pour m'abandonner brusquement quand j'ai repoussé ~ avances sexuelles.

Certaines de mes étudiantes, qui croient mes idées dépassées, me diront qu'il existe des femmes sexistes. Mais la situation n'est pas symétrique actuellement puisqu'en science, il y a une probabilité beaucoup plus élevée qu'un sexiste détienne le pouvoir d'agir contre les femmes que l'inverse.

Comment garantir que l'excellence en recherche puisse survivre et se montrer chez les femmes? Il faut que les femmes travaillant en science soient solidaires. Nous constatons que l'appartenance à notre groupe de recherche, composé majoritairement de scientifiques féministes, nous apporte un soutien qui nous permet de viser l'exœllence, en identifiant les obstacles à mesure et en les appelant par leur nom. Il n'est pas très scientifique de compter sur des contes de fée au sujet de l'égalité des chances, quand les données nous disent tout le contraire.

Karen Messing est professeur au Département de biologie de l'Université du Québec à Montréal. Cet article a été publié en septembre 1990 dans Interface, publication de L'Association canadienne française pour l'avanœment des sciences.



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