Il reste peu de
temps pour
discuter des
enjeux
fondamentaux,
du sens et des
perspectives de
notre travail.

Les difficultés internes au mouvement des femmes
Il se fait toujours du militantisme ou du bénévolat en éducation des adultes. Même au niveau des personnes salariées, l'enquête citée plus haut sur les conditions de salaire et de travail au sein des groupes populaires faisait ressortir que 72 % de ces dernières travaillaient plus que la moyenne d'heures normales par semaine.

Pas étonnant que beaucoup de femmes y laissent leurs dernières forces. Les cas d'épuisement se multiplient. Paradoxalement, on travaille pour améliorer la vie des femmes, mais la sienne devient invivable, surtout si l'on a de jeunes enfants. Rien de surprenant de voir se développer des sentiments ambigus face au militantisme. Plus de femmes qu'auparavant refusent de militer car elles se sentent exploitées.

Beaucoup de femmes trouvent agréable de travailler dans un groupe de femmes parce qu'on échappe ainsi à une partie des rapports sociaux hommes-femmes, que le style de travail y est différent, que la compétition y est moins vive. Malgré cela, il est difficile de créer de nouveaux rapports sociaux, en ce qui a trait notamment à la prise de décisions. Par exemple, une question difficile est longuement discutée au sein d'un groupe, on la retourne dans tous les sens, on évite les débats directs, on s'ouvre plus facilement dans l'informel et on remet la responsabilité finale à une personne. Si celle-ci tranche et décide seule, on lui reprochera son manque de démocratisme et on la soupçonnera de vouloir exercer son pouvoir sur les autres.

En fait, ce malaise, nous avons peine à le nommer. Écartées du pouvoir, nous en demeurons très méfiantes; culpabilisées plus souvent qu'à notre tour, nous demeurons sensibles aux sentiments de culpabilité.

Au Québec, le mouvement des femmes a connu un grand développement de pratique au détriment sans doute des développements théoriques. Pour les femmes qui vivent quotidiennement ces pratiques et qui partagent leur vie privée avec des hommes, travaillant dans un environnement bien différent, un déchirement se produit souvent au niveau des valeurs profondes.

Comme les femmes sont parmi les plus pauvres dans la société, leurs groupes sont parmi les plus pauvres des groupes. C'est une difficulté supplémentaire dans l'édification du mouvement des adultes.

Finalement, les groupes sont de plus en plus spécialisés et ont acquis une plus grande expertise, chacun pour sa problématique. Cela favorise une plus grande efficacité, mais crée un isolement plus grand entre les groupes. Dans le feu de l'action, il reste peu de temps pour discuter des enjeux fondamentaux, du sens et des perspectives de notre travail. Nous disposons peu de temps pour discuter notamment de notre façon de concevoir et de mettre en pratique notre travail d'éducation des adultes.

Mais je veux finir sur une note plus heureuse en parlant d'un merveilleux et difficile projet. On va rassembler à Montréal l'ensemble des groupes de femmes du Québec, autour d'états généraux des femmes, à la fin d'avril prochain, à l'occasion du 50e anniversaire du droit de vote des Québécoises. Ce projet, appelé "Femmes en tête," va nous faire connaître le bilan préparé depuis plus d'un an par les groupes de femmes sur les acquis des femmes depuis 50 ans. Nous allons nous rencontrer, en-dehors des cadres habituels de travail, pour nous dire pourquoi nous sommes toujours là, ce que nous voulons célébrer avec l'ensemble des femmes que nous avons conviées et ce dont nous rêvons pour les cinquante prochaines années.

Marie Letellier est coordonnatrice adjoute à Relais-femmes de Montréal.



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