La survivante peut, grâce à l'analyse de son rêve, apprendre à ne pas diriger sa juste colère contre elle-même.

Le poisson-dinosaure, dont la tête épouse la forme phallique (rappel de l'agression), dissimule très bien sa présence menaçante sous l'eau qui apparaît très calme. Le ciel d'un bleu clair et l'eau très calme caractérisent la persona de la survivante, c'est-à-dire sa fausse personnalité qui cache très bien sa blessure sous une apparence de "Tout va bien." L'abondance des poissons évoque l'abondance de spermatozoïdes et contribue à l'allusion sexuelle. L'eau, symbole universel de fécondité, de fertilité et de créativité, est essentiellement un symbole féminin. Mais elle est ici peuplée d'énergie masculine dont la composante principale, le poisson-dinosaure, est destructrice: il peut surgir à tout moment pour avaler le potentiel de l'enfant. Cette image rappelle le contexte étouffant d'une société patriarcale aliénante pour la femme, puisqu'on ne lui permet pas d'occuper sa place. Mais la femme ne doit pas se laisser avaler: elle doit puiser en elle la force de livrer bataille.

Dans sa thèse de maîtrise Jeannine M. Ouellette résume les mécanismes de dissuasion puissants qui maintiennent les femmes dans le silence: "Les croyances populaires, les valeurs traditionnelles, la socialisation différenciée, les pratiques sociales sexistes, les stéréotypes, le sexisme des règles grammaticales et la violence faite aux femmes" (7). L'image du poisson-dinosaure exprime bien dans ce rêve la place prépondérante qu'occupent les valeurs patriarcales.

Mais le rêve nous dit que comme le dinosaure, ce temps est révolu: le moment est venu pour les femmes de percer le mur du silence grâce à un langage bien à elles, de dépasser le conditionnement imposé par la culture masculine. Ainsi la survivante peut, grâce à l'analyse de son rêve et de son dessin, apprendre à ne pas diriger sa juste colère et sa violence contre elle-même. Si elle le fait, la maladie prolifère. Ce n'est qu'en les canalisant et en les dirigeant vers le vrai responsable de l'oppression et de l'abus des femmes - un système sexiste, élitiste, matérialiste et hiérarchique régi par des valeurs patriarcales qui ne tiennent pas compte du féminine - que leur pouvoir de guérison se fera sentir. C'est en surmontant ce sentiment d'impuissance et leur passivité, en se libérant de leur colère et en reliant leur agression au désir de se protéger et de protéger leurs enfants, de briser le cycle de l'abus, que les femmes participeront à l'émergence d'un nouveau système qui libérera l'énergie féminine, l'énergie créatrice. Énergie qui est présente à la fois chez l 'homme et chez la femme.

On a accordé trop de place aux valeurs masculines. De plus en plus d'hommes dénoncent aussi cette "culture masculine de domination qui prévaut encore partout sur la planète, cette culture de tête froide et de sous-développement affectif ... ce clan masculin qui a prétendu pendant des siècles avoir le monopole de l'intelligence, ainsi que celle de l'âme, en fait, ce clan masculin qui n'a toujours pas trouvé une façon intelligente et autonome, avec quelques grammes d'initiative, de réagir à l'interpellation féminine" (8). Aujourd'hui une violence explosive fait éruption pour rétablir un juste équilibre qui permettra à la femme et à l 'homme de rebâtir leur vie affective, leur vie créative, si importante à la survie et à l'épanouissement de notre espèce.

Tout en essayant de comprendre son langage symbolique, le rêve de la survivante nous indique avec son potentiel de destruction et son potentiel de libération l'ampleur de ce déséquilibre. Il nous a permis de suivre le cheminement d'une femme au cours de sa guérison psychologique, vers une conscience nouvelle nourrie de l'espoir encore fragile de pouvoir travailler ensemble avec l 'homme à cette restitution. Vers une confiance accrue en ses pouvoirs de guérison.

Monique Dumont est étudiante à l'Institut C.G. Jung de Zurich et travaille pour les Forces Canadiennes en Europe à Lahr, Allemagne. Merci à Catherine Moreau, analyste jungienne à Zollikon en Suisse, accompagnatrice appréciée.



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