LES DROITS A L'ÉGALITÉ Sophie Arthaud Il y a bientôt trois ans que la constitution canadienne a été rapatriée au Canada et que la Charte canadienne des droits et libertés a été promulguée. Mais l'un des articles fondamentaux de cette charte, celui sur les droits à l'égalité, n'entre en vigueur qu'en avril 1985. Depuis trois ans, les divers paliers de gouvernement, le secteur privé, les groupes de pression se préparent à cette date car l'article 15 aura probablement de profondes répercussions sur l'évolution de la société canadienne. Récemment, à Toronto, un symposium national sur les droits à l'égalité a réuni des juristes, des avocats, des professeurs de droit, des employeurs ainsi que des représentants des commissions des droits de la personne et des groupes traditionnellement défavorisés. Ensemble, ils ont essayé de faire le point sur le périlleux sujet d'une société plus égalitaire. Au dire du ministre de la justice, M. John Crosbie, invité d'honneur de ce symposium, "la reconnaissance des droits à l'égalité marque le début d'une ère nouvelle". Selon madame le juge Abella, à qui l'on doit un célèbre rapport sur l'égalité en matière d'emploi, cet article est "un moyen de rectifier [les inégalités] et un symbole d'espoir. Mais derrière ces promesses, quelle vérité se cache-t-elle? Car l'égalité des droits parmi les êtres humains, sans distinction aucune notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance, est reconnue depuis longtemps, dans le principe, par l'ensemble de la communauté internationale, et notamment le Canada. (Les mots qui précèdent sont en partie tirés de la Déclaration universelle des droits de l'Homme.) Au niveau des discours officiels, donc, l'égalité est assurée depuis longtemps déjà. Pourtant, un simple coup d'oeil à la réalité suffit à révéler les inégalités dans notre société. Au Canada, le Comité sénatorial sur les seuils de pauvreté estime que 22% des unités familiales ont un revenu inférieur au seuil de la pauvreté; pour les personnes seules, le pourcentage se situe à 47% (chiffres donnés lors du symposium). En ce qui concerne la condition féminine, rap- pelons une fois de plus que les femmes qui travaillent à plein temps gagnent en moyenne 64 cents pour chaque dollar gagné par les hommes. Celles qui ont un diplôme universitaire ont en moyenne un salaire à peine plus élevé que les hommes possédant tout juste un diplôme d'études secondaires. Il y a aussi la discrimination dont souffrent les Amérindiens, les handicapés, les minorités visibles. Un exemple frappant: le fait que l'espérance de vie chez les Amérindiens est considérablement moindre que chez les Blancs. Alors que va changer l'article 15 dans toute cela? Est-il réellement "un signe d'espoir"? Même les plus pessimistes semblent reconnaître que cet article constitue, potentiellement du moins, un outil précieux. Ceci pour trois raisons. Tout d'abord, parce qu'à la différence des textes de loi qui existaient avant lui au Canada sur l'égalité, cet article fait partie de la constitution: à ce titre, il ne peut être ni abrogé, ni modifié à moins d'un amendement constitutionnel, ce qui est un procédé long et coûteux. Deuxièmement, parce qu'il exige que toutes les lois, tant fédérales que provinciales, se conforment aux dispositions sur l'égalité - non seulement dans la manière dont est formulée la loi, mais aussi dans celle dont elle est appliquée. Troisièmement - et c'est là un point très important - parce qu'il prévoit la création de programmes d'accès à l'égalité, qui permettront des mesures spéciales envers des groupes traditionnellement défavorisés. Ces mesures qui pourront sembler discriminatoires à premier abord, auront pour but d'éliminer les inégalités de longue date. Le ministre de la Justice l'a reconnu dans son discours au symposium: "le développement de l'égalité doit partir de l'aveu qu'il y a eu et qu'il y a encore discrimination dans notre pays". Le grand problème, toutefois, est de savoir qui aura la responsabilité de créer ces programmes d'accès à l'égalité. Le gouvernement? Les commissions de droits de la personne? Les employeurs? Les syndicats? Selon quels critères décidera-t-on des programmes? Sous quelle forme seront-ils appliqués? Quelle force réelle auront-ils? Comment s'assurer que certains groupes ne se sentent pas menacés face à la protection spéciale dont jouiront d'autres groupes? Comnment leur faire comprendre qu'il y a simplement rétablissement d'équité sociale? À ce niveau, il faudra sensibiliser la population canadienne car le problème dépasse de loin le strict plan juridique. |
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