LIBRE-ÉCHANGE Une partie importante du premier volume du rapport de la Commission est consacrée à une analyse de l'ensemble de l'économie mondiale. Ce qui est particulièrement frappant dans cette section est l'absence de données sur l'étendue du pouvoir des corporations transnationales qui sont devenues les grands dirigeants de l'activité économique mondiale. Aucune attention n'a été portée à leur croissance, leur puissance, leur mobilité, pas plus qu'aux conséquences de ces facteurs sur les politiques commerciales du pays. En raison de la place centrale qu'elles occupent dans notre économie, une meilleure compréhension de leurs agissements est primordiale pour le développement de politiques industrielles et commerciales adéquates. Bien que les initiatives gouvernementales des dernières années aient réduit le niveau de contrôle étranger sur notre économie, le Canada représente encore un cas limite parmi les nations industrialisées. Les entreprises étrangères possèdent 49% du secteur manufacturier, 45% du pétrole et du gaz naturel, 43% des mines et du raffinage et 26% de toutes les autres industries excluant les secteurs de l'agriculture et de la finance (II, 256). Dans le passé, les entreprises étrangères furent attirées au Canada par l'abondance et l'accessibilité des ressources et par le fait qu'en s'installant ici elles auraient accès au marché canadien. Cependant les avantages associés au rôle traditionnel dévolu au Canada en tant que producteur de matières premières ont tendance à décroître ces dernières années en raison des coûts inférieurs ailleurs dans le monde. En outre, dans le secteur manufacturier, des progrès rapides dans les communications et le transport - et une économie internationale moins restrictive - ont contribué à déplacer la production vers les pays pauvres et leur main- d'oeuvre à bon marché. On observe donc une tendance croissante chez les entreprises multinationales à relocaliser leur production à forte main-d'oeuvre syndiquée et relativement bien payée vers des pays qui garantissent l'exploitation d'une main-d'oeuvre moins payée. Cependant tous les pays ne sont pas également vulnérables: c'est ma conviction que le Canada a beaucoup plus à perdre dans des accords bilatéraux de libre-échange que les Etats-Unis et que les conséquences des changements considérables proposés par la Commission pourraient bien se traduire par un affaiblissement important de l'économie et un taux de chômage substantiellement plus élevé.
Il y a deux points importants à souligner à ce stade-ci. Le premier a souvent été cité comme l'inconvénient majeur du libre-échange pour le Canada car il constitue un changement considérable dans la politique commerciale qui pourrait bien précipiter le déclin de la production manufacturière au Canada pour deux raisons: une concurrence accrue pour la production domestique et un changement profond du comportement parmi les entreprises étrangères installées au Canada. Le deuxième point à souligner: l'étendue des effets néfastes sur l'emploi dans le secteur des services. Ce problème n'a pas reçu l'attention qu'il mérite alors que les échanges internationaux augmentent dans les services en même temps que notre main-d'oeuvre s'accroît dans ce secteur, ce qui rend la concurrence étrangère de plus en plus menaçante dans ce domaine. Les commissaires ne voient pas comme une contrainte le haut niveau de contrôle étranger sur notre économie, pour arriver à une entente commerciale avec les États-Unis. L'argument le plus répandu contre le libre-échange soutient que si les fabricants étrangers se sont établis ici pour désservir le marché canadien protégé contre les importations, ils quitteront le Canada s'ils peuvent y vendre à prix concurrentiels sans être sur place. La crainte est fort répandue qu'au départ des entreprises étrangères les emplois perdus ne pourront pas être remplacés par des emplois créés ici parce que la concurrence étrangère puissante et bien établie sera impossible à surmonter. Les commissaires admettent que cette éventualité pourrait bien se produire mais qu'il s'agirait d'un coût d'ajustement à court terme, que par la suite d'autres investissements étrangers seraient attirés au Canada. Selon eux, l'investissement étranger que les barrières tarifaires américaines empêchent d'entrer au Canada aurait soudain accès au marché américain depuis notre pays, ce qui les inciterait fortement à venir au Canada. (I, 364). Toutefois cet espoir est très aléatoire et s'appuie trop sur la croyance qu'à très long terme les choses vont s'arranger toutes seules. Les commissaires eux-mêmes admettent que les secteurs manufacturiers canadiens, le secteur de l'automobile excepté, sont particulièrement faibles et vulnérables à des accords de libre-échange. Ce problème ne diminue pas, toutefois, le soutien des commissaires au libre-échange. Ils déclarent: "que celui-ci affecterait tout au plus un cinquième de notre main d'oeuvre", puisque la production manufacturière représente moins de 20% des emplois au pays. Ils se rassurent aisément par les résultats d'une enquête de l'Association des manufacturiers canadiens qui indiquent que "seulement" un tiers des entreprises s'attendent à des effets nocifs suite à l'implantation du libre- échange. Tout changement de politique économique de cette envergure, aux probabilités aussi inquiétantes, ne devrait pas être entrepris sur des affirmations hasardeuses relevant de l'acte de foi pur et simple et sous la pression tenace du président de la Commission, Donald Macdonald. |
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