En 1988, le
financement des
groupes
populaires ne
représentait que
0,18 % du
budget du
ministère de
l'Éducation.

L'autonomie, un objectif pour chaque femme, est aussi un enjeu collectif du mouvement des femmes. Au Québec, le fait que les gouvernements financent en partie nos activités représente un avantage mais aussi un inconvénient pour les groupes de femmes. Assurément, c'est un avantage, gagné non sans difficultés et toujours remis en question, d'obtenir des subventions permettant d'avoir des intervenantes payées, des locaux et du matériel. Mais cela crée aussi des problèmes. Nous passons en effet un tiers de nos heures de travail, et parfois plus, à rédiger des rapports. Il y a aussi les coupures qui surviennent brusquement et bouleversent nos projets. Il y a enfin les priorités gouvernementales qui changent: une année, c'est la situation des femmes qui est la priorité, une autre année, celle des analphabètes, par exemple. Pour les subventions accordées aux femmes, une année c'est la violence qui est prioritaire, une autre année, c'est la santé. Il devient plus difficile de maintenir un plan d'intervention dans ces conditions.

La récupération par les institutions
Il y a des exemples concrets où la formation et les services développés dans les groupes sont repris par le réseau gouvernemental, réinterprétés dans un langage plus technocratique et remis en circulation avec l'aide d'un personnel professionnel deux fois mieux payé que celui des groupes. Ainsi, on se souvient dans le mouvement populaire des cliniques de santé, mises sur pied par des femmes et des hommes, qui ont été une à une intégrée au réseau gouvernemental de la santé. Il faut se réjouir que le gouvernement en ait multiplié le nombre et adapté la formule. Ce faisant, il en a aussi affaibli le caractère populaire et la portée.

Dans le mouvement des femmes, ce même phénomène se reproduit. Par exemple, le Regroupement provincial des maisons d'hébergement et de transition pour les femmes victimes de violence conjugale a mis sur pied une formation pour comprendre la dynamique de la violence en milieu conjugal et intervenir adéquatement. Le réseau gouvernemental de la santé l'a reprise, l'a redonnée à ses intervenantes en embauchant des spécialistes. Ces spécialistes viennent-elles du regroupement des maisons? Évidemment pas. Vous verrez aussi maintenant des sessions organisées par un appareil gouvernemental où vous pourrez apprendre en quelques heures à dépister la victime de violence dans votre milieu. Qui dit mieux?

Un autre groupe imagine des moyens pour familiariser les femmes avec l'informatique. La première année, la formation est dispensée dans le cadre d'un collège d'enseignement du réseau scolaire, mais les années suivantes, on ne fait plus appel au groupe et on continue de dispenser la formation à des coûts moindres que ceux que le groupe peut proposer aux femmes.

En fait, ce n'est pas tant la récupération en soi qui choque, même si elle constitue souvent une perte e de sens, mais plutôt la non-reconnaissance des acquis des groupes. Cette non-reconnaissance se traduit d'ailleurs en chiffres: le ministère de l'Éducation, depuis les coupures survenues au début des années quatre-vingts, a très peu augmenté les budgets des groupes populaires. On en compte plus de 600 qui se partagent à peine huit millions de dollars. En 1988, le financement des groupes populaires ne représentait que 0,18 % du budget du ministère de l'Éducation. Les groupes doivent donc se tourner vers le gouvernement canadien, mais là aussi on a sorti les ciseaux.

La conjoncture québécoise
La conjoncture des années quatre-vingts est difficile. Nous ne connaissons ni la guerre ni la famine comme beaucoup d'autres pays. Nous vivons dans un régime de démocratie parlementaire, aussi la répression politique s'exerce sur nous de façon plus subtile. Parmi les éléments de la conjoncture qui influencent le mouvement d'éducation des adultes et touchent les femmes, j'en ai retenu quatre.



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