Selon Belenky et al., la manière dont les femmes accèdent à la connaissance découle en grande partie des expériences vécues au sein de leur famille d'origine. C'est à ce niveau que l'impact de la violence sur l'évolution intellectuelle prend toute sa signification. Belenky et al. ont noté que les femmes réduites au silence (de cinq positions épistémologiques possibles: le silence, la position bancaire, la position subjectiviste, la position méthodique et la position constructiviste) avaient toutes vécu dans des familles violentes dans le passé (7).

Le harcèlement sexuel est une réalité vécue en milieu universitaire qui peut profondément transformer les rapports entre les professeurs et les étudiantes.

Pendant leur enfance, ces femmes avaient appris que les mots étaient des armes dangereuses et que le silence était l'un, sinon l'unique moyen de protection dont elles disposaient. A l'âge adulte, ces femmes ne se perçoivent pas comme des personnes capables d'apprendre, ni par elles-mêmes, ni auprès des autres. Elles sont enfermées dans un mur de silence tant au niveau extérieur (échanges limités avec les autres) qu'au niveau intérieur (peu d'introspection).

Les femmes qui ont ainsi appris à se méfier de l'autorité masculine peuvent se heurter à des difficultés dans des situations pédagogiques où elles doivent exprimer leurs pensées et être évaluées par un professeur mâle. Leur participation au cours peut être limitée en fonction de leur peur d'être critiquées, voire ridiculisées, dans certains contextes. Certaines étudiantes choisissent le silence comme porte de sortie tel qu'en témoignent les propos suivants, recueillis dans le cadre d'un cours offert au niveau diplômé:

I haven' t got the right language so I always feel like a dummy. I don' t really want to talk because if I do they (the men) will realize how stupid I am.

I've talked a few limes, but nothing I say seems to make a difference. What I say never gets taken up. It' s like I hadn't said anything. So I've given up. Why bother? (8)

L'ambiguïté des rapports incestueux vécus dans la famille d'origine peut également générer des difficultés et une certaine confusion chez les femmes adultes au niveau de leurs rapports avec des hommes en position d'autorité. La relation de pouvoir, exercée pendant l'enfance, était teintée de séduction, de manipulation parfois subtile, parfois agressive. Il est également possible que de la tendresse se soit mêlée aux rapports incestueux, laissant la jeune fille pour le moins confuse face à son agresseur. Ainsi, même à l'âge adulte, les survivantes d'inceste peuvent vivre un malaise vis-à-vis du renforcement lorsque celui-ci provient d'un homme en position d'autorité. C'est le cas, par exemple, d'une situation où le rapport professeur/étudiante est marqué par le harcèlement sexuel.

Le harcèlement sexuel est une réalité vécue en milieu universitaire qui peut profondément transformer les rapports entre les professeurs et les étudiantes et reproduire un type de relation violente semblable, à certains égards, aux rapports incestueux. Dans de telles situations, le climat d'apprentissage est malsain en raison du secret, de la menace, de la séduction et des promesses de renforcement qui caractérisent les échanges.

Ainsi, l'impact de la violence faite aux femmes peut être vécu à divers niveaux dans la situation pédagogique: 1) le milieu peut déclencher des souvenirs douloureux (surtout si une étudiante fut victime d'une agression sur le campus), 2) les comportements ou les attitudes des professeurs mâles peuvent ramener l'étudiante à un état de victime face à l'autorité masculine, 3) les expériences de violence ont enseigné aux femmes à garder le silence et à se soumettre à l'autorité masculine, et 4) il peut exister un malaise vis-à-vis du renforcement de la part d'un homme en position d'autorité, surtout si celui-ci exibe des comportements rappelant les agressions sexuelles.

Briser le silence en milieu pédagogique:
l'importance de démystifier l'autorité masculine

Les expériences de violence marquent de manière négative le développement cognitif et psychosocial des femmes à plusieurs niveaux. Par exemple, la confiance en soi peut être diminuée, le concept de soi déstabilisé, l'image de soi défonnée et l'estime de soi appauvrie... bref, la violence attaque la personne dans ce qu'elle a de plus vulnérable, sa valeur propre. Dans un cas de violence, la victime ne contrôle généralement pas la situation.

Pour des raisons évidentes (la menace de mort, la douleur physique, la terreur psychologique), la victime de violence est privée de ses droits et, par conséquent, éprouve des difficultés à se protéger. Il peut en résulter un sentiment de méfiance à l'égard de sa capacité d'agir qui se matérialise à d'autres contextes, dont la situation d'apprentissage. n devient essentiel que les victimes de violence réapprennent à se faire confiance.



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