Beaucoup de survivantes dessinent leur rêve parce que le dessin permet de comprendre le message du rêve.

imagePatricia Garfield affirme que les survivantes d'abus sexuel revivent souvent dans leurs rêves les abus subis, affirmation soutenue par les recherches de Marion Cuddy (4). Le rêve, tentative du psychisme pour guérir une blessure personnelle ou sociale, vise à rétablir l'équilibre psychique de la personne et à la faire se sentir en harmonie avec elle-même. Beaucoup de survivantes dessinent leur rêve parce que le dessin permet de comprendre le message du rêve et de mieux l'intégrer. Dans cet article, je considère un rêve qu'une survivante d'abus sexuel a fait pendant une période de dépression. En nous appuyant sur l'approche jungienne de l'interprétation des rêves, nous avons essayé de comprendre la signification de son rêve à la lumière de son cheminement vers la guérison psychologique et vers une prise de conscience accrue de sa responsabilité sociale en tant que femme.

L'image centrale du dessin montre une femme en gris pâle qui s'apprête à plonger un enfant dans une eau poissonneuse où évolue un énorme poisson menaçant. De prime abord, l'enfant-sacrifice semble servir d'appât pour attirer le méchant poisson. La corde nous rappelle le cordon ombilical qui lie la femme en gris à l'enfant. Quand la survivante s'identifie à cette femme en gris, le désir de se séparer de l'enfant qui souffre en elle l'envahit. Elle veut cesser de souffrir. Elle éprouve en même temps une immense culpabilité à la pensée de lâcher prise. Quand elle s'identifie à l'enfant, un sentiment d'impuissance et de désespoir l'accable: cette enfant qui n'a pas demandé qu'on l'abuse sexuellement, qu'on lui vole à tout jamais la possibilité de se développer "normalement" - cette enfant victime, héritière désormais de schèmes dysfonctionnels qui se sont imprégnés dans sa personnalité au moment de l'abus. L'image de la survivante voulant se couper de l'enfant qui lui rappelle sans cesse sa souffrance nous montre à quel point l'archétype (5) de la mère négative a marqué la survivante.

Quand elle dépasse cette réaction initiale, une autre analyse s'impose à la survivante. Elle est liée à tout jamais à son enfant intérieur; l'enfant et la femme forment donc une seule entité psychique, la descente de l'enfant étant aussi celle de la femme-enfant. La descente lui permettrait de confronter les démons de son passé l'abus et l' abuseur - qui ont contaminé ceux du présent. Elle lui permettrait donc d'entrer simultanément en contact avec son propre côté abuseur, dù à son vécu antérieur: ce côté qui chaque jour lui projette des images de violence, de catastrophes, voire de mutilations personnelles. Ce côté qui fait qu'elle se fait violence à elle-même. La confrontation pourrait l'aider à faire remonter le poisson-monstre à sa conscience, à le maîtriser et à l'assimiler pour triompher de la peur qui bloque son potentiel, son énergie créatrice. Cette confrontation est possible si la structure psychique de la victime est assez forte et stable.

Quand elle s'identifie à la femme en gris foncé assise (sa mère), la survivante ressent rage et colère car celle-ci n'a pas su la protéger quand elle était enfant; elle l'a abandonnée. Sa mère est assise, accentuant la passivité qui la caractérise. Mais la survivante pourrait avoir le même geste d'abandon que sa mère, répétant ainsi le cycle d'abus, à un autre niveau bien sur puisque l'enfant du dessin est son enfant intérieur. Une analyse du dessin représentant l'enfant nous porte à croire qu'il s'agit d'un petit garçon, hypothèse confirmée par la survivante. C'est peut-être le désir de la mort de la masculinité de l'enfant ou de son animus (6) qui est signifiée par l'inconscient à travers le rêve. La mort symbolique de l'enfant mâle témoignerait du désir chez la survivante de se dissocier du monde masculin, de l'agresseur qui est responsable de sa déchirure. Cette dissociation déstabiliserait sa structure psychique.



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