Reclaiming Lives


Le senti après une tragédie
Impressions personnelles ou collectives?


par Anne-Marie Pharand

Je sais maintenant en partie pourquoi j'ai mis tant de temps avant de m'identifier au mouvement féministe. je sais pourquoi je suis encore timide dans mes actions sociales et politiques. Voyez-vous, c'est que je reconnais depuis peu combien la souffrance fait partie de ma démarche de conscientisation. je commence tout juste à laisser monter en moi la souffrance mais aussi la colère, la révolte, l'angoisse, la détresse.

Le 6 décembre 1989, en fin d'après-midi, dans une classe de l'école polytechnique de l'Université de Montréal, un jeune homme entre avec une arme semi-automatique. Il sépare les filles des garçons et tire sur les femmes en les accusant d'être féministes. Quatorze d'entre elles sont mortes! Dix femmes et trois hommes sont blessés! Combien d'autres souffrent?

Plus tard dans la soirée, j'écoute le lugubre récit au bulletin des nouvelles. J'ai peine à croire ce que j'entends, ce que je vois, tellement j'ai mal. Je veux nier que ce drame ait eu lieu, nier que les hommes puissent encore si facilement exercer leur violence sur nous. Je me sens tout autant victime que les blessées. Je sens moi aussi qu'on veut ma peau.

Je veux nier
que ce drame
ait eu lieu,
nier que les
hommes
puissent
encore si
facilement
exercer leur
violence
sur nous.

Petit à petit la douleur fait place à la colère lorsque je constate le déni généralisé manifesté par les médias francophones; par ces journalistes de la télévision, de la radio et des journaux et ces hommes psychiatres, travailleurs sociaux, criminologues qu'ils interrogent. Presque tous présentent une arrogance effrontée dont témoignent leurs attitudes corporelles et leur discours. Ils parlent des victimes; ils hésitent à spécifier clairement qu'il s'agit de femmes. Plusieurs refusent d'admettre le lien entre cette tuerie et la violence faite aux femmes. On met un temps fou à reconnaître le caractère anti-féministe de l'événement et le profond refus des hommes à renoncer à leurs privilèges ancestraux. La réalité me paraît évidente: les victimes sont des femmes qui aspiraient à évoluer dans un milieu d'élites traditionnellement réservé aux hommes.



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